Pour développer les process comme les produits, il faut être aussi capable de changer soi-même. Dans les années 1999-2000, les flux physiques et les produits se complexifient de plus en plus. Pour gérer cette complexité, la plupart des grandes entreprises mettent en place des process robustes et souvent rigides, avec un fort niveau d’expertise à chaque étape. L’une des conséquences de ce mouvement, c’est l’émergence des managers « généralistes » qui sont capables de parler le langage de chaque fonction pour comprendre les décisions à prendre au-dessus des « silos ». Souvent, ces fonctions dites transverses sont d’ailleurs plus prisées que les fonctions expertes, car jugées plus « stratégiques » pour piloter l’entreprise.

Mais avec l’arrivée du digital, ce gros château de sable s’écroule petit à petit. Car le manager ne peut plus conduire l’équipe multidisciplinaire sans « faire » un minimum par lui-même. Cet état d’esprit de « meneur-faiseur », directement importé du monde des start-up, pousse les organisations à se transformer pour « s’horizontaliser » et pour limiter les fonctions support trop éloignées du « business ». Ainsi, chez Amazon, tout manager est prié d’apprendre à faire lui-même ses requêtes SQL pour aller chercher l’information directement dans le système, sans attendre qu’une armée de jeunes experts en business intelligence lui produisent des rapports. De même, dans l’usine, les leaders charismatiques actuels sont tous réputés capables de rentrer dans le détail d’un sujet technique pour challenger les équipes. Donner la direction et prioriser n’est plus suffisant, il faut comprendre en détail ce qui se cache derrière les problèmes majeurs auxquels les équipes sont confrontées. Elon Musk dit que les mauvais produits sont le reflet des mauvaises organisations. De même on pourrait dire que les mauvais process sont le reflet de managers qui ne font pas assez par eux-mêmes.

Au-delà du management, la valeur reine de la transformation digitale, c’est la capitalisation rapide des savoirs. Encore une fois, cette notion n’est pas totalement nouvelle. Dans les principes du Lean, une bonne session de résolution de problème aboutit naturellement à une forme de capitalisation, soit par l’adaptation d’un paramètre ou d’un standard, soit par la formalisation d’une « leçon ponctuelle » ou « leçon en un point ». Cette méthode a fait ses preuves et permet d’assurer une continuité dans l’amélioration des process.

Avec le digital, l’habitude de capitalisation doit devenir un véritable réflexe, car tout va trop vite pour qu’on puisse se permettre de manquer une opportunité d’apprendre. Les experts d’IT parlent de « dette technique » pour qualifier le retard pris par le système informatique dans son ensemble, hardware et software cumulés. Tous s’accordent pour dire que chaque semestre, la dette technique s’accroît de 15 à 20 % si rien n’est fait pour moderniser le système : les circuits électroniques évoluent, mais aussi les langages ou « stack » qui permettent à l’entreprise de s’aligner sur une méthodologie commune pour coder.

Avec la digitalisation de l’outil de fabrication, le même phénomène de dette technique rapide menace le système industriel en permanence. Il faut donc capitaliser beaucoup plus vite qu’auparavant. Néanmoins, cela ne peut se faire sans une réelle évolution des esprits. Car pour innover et apprendre en permanence, il faut prendre des risques et donc accepter l’idée de se tromper. Capacité d’apprentissage rime donc avec droit à l’erreur, et cela n’est pas du tout naturel dans un environnement qui privilégie la stabilité et la sûreté depuis des décennies.